(Extrait des Clés pour le judo de Jérémie.)
Les koryū (古流) 1 n’utilisent pas de grades, mais décernent des certificats de maîtrise autorisant à enseigner, les menkyo (免許). C’est Jigorō Kanō qui a introduit le système des grades kyū/dan (kyū 級 « catégorie, position, classe » ; dan 段« degré, échelon, marche ») dans les budō, en s’inspirant du jeu de go. Le grade montre la progression du jūdōka dans son étude au niveau du mental, de la technique et du combat. On appelle le porteur de grade kyū mudansha (無段者 « celui sans dan »), le porteur de grade dan yūdansha (有段者 « celui qui a un dan »). 2
Les grades avant la ceinture noire vont du 6e au 1er kyū, représentés par des ceintures de couleur inventées par maître Gunji Koizumi (軍治 小泉). Avant lui, on n’utilisait que les ceintures bleu ciel 3, blanche, violette (pour les enfants), marron et noire. C’est parfois encore le cas au Japon. Venu enseigner le jūdō en Angleterre, Koizumi a vite compris que les Occidentaux avaient besoin d’une motivation visuelle supplémentaire. Amateur de billard, dit-on, il aurait choisi d’utiliser les couleurs des boules : blanc, jaune, orange, vert, bleu, marron ! Les ceintures bicolores ont été inventées plus tard pour les enfants. Pour les plus jeunes, j’ai moi-même adopté une progression de ceintures particulière en ajoutant des étapes : les ceintures blanches à liseré simple et double 4. Une particularité à noter : au Japon, la ceinture des femmes a un liseré blanc au milieu.
La ceinture noire 1er dan est appelée shodan (初段), ce qu’on peut traduire par « niveau débutant » : en effet, la ceinture noire ne marque pas la fin, mais une étape, le début réel de l’apprentissage !
Au jūdō, il y a 11 grades dan5. À l’aikidō Kishinkai, il y en a 8.
Avoir une ceinture plus élevée ne signifie pas que je suis supérieur aux autres, mais que je suis capable de les aider à me rattraper. Quand j’obtiens la ceinture jaune, par exemple, ça veut dire que je connais le programme de la ceinture blanche, que je peux donc aider les autres ceintures blanches et que je suis prêt à apprendre le programme de la ceinture jaune.
« Passer de ceinture » demande beaucoup d’efforts, ce n’est pas automatique. Il y a toute une série de critères :
- présence régulière et application à l’entraînement,
- évolution du comportement tout au long de l’année (reigi et valeurs éducatives),
- savoir exécuter les techniques apprises au cours et en connaître les noms,
- savoir appliquer ses connaissances en combat (randori, voire compétition)
Le professeur observe l’évolution de chacun, et lorsqu’il juge le moment venu selon le principe shingitai icchi, il propose à l’élève de passer un examen technique adapté à son âge et à son grade. Il y a un âge minimum et un temps de travail pour chaque grade. Ce système n’est pas rigide : on peut aller plus ou moins vite, en fonction de l’âge, des progrès effectifs, de la participation à la vie du club, de la participation à des stages et à des tournois, etc. : tout ce qui fait l’« esprit budō », et chacun à son rythme ! Le professeur est seul juge et veille à adapter ses exigences au mieux à chacun en respectant les codes du budō. Au Kyoryukai, les progrès et l’attitude du jūdōka tout au long de l’année sont plus importants que faire des techniques absolument parfaites le jour de l’examen.
Pour les grades dan, ce n’est plus le professeur qui juge :
- Au jūdō, le programme est conçu par la commission des grades de la fédération, qui organise des jurys. Le candidat est interrogé à huis clos par des juges haut gradés.
- À l’aikidō, le programme est établi par le conseil des cadres de l’école. L’examen se passe en public à l’occasion d’un stage devant le directeur du Kishinkai et les autres fondateurs de l’école éventuellement présents.
➡️ Comment se déroule un passage de grade ?
« Écoles anciennes » de bujutsu.↩
Sur l’histoire des grades et titres : <http://www.shinryu.fr/2186-kyū.html>, <http://www.shinryu.fr/2202-dan.html>, <http://www.shinryu.fr/2207-menkyo.html> et <http://www.shinryu.fr/2214-titres-honorifiques-en-arts-martiaux.html>, <https://www.ijf.org/history/judo-culture/2250>.↩
Pour les débutants qui devaient faire leurs preuves avant d’être vraiment considérés comme membres du dōjō.↩
D’autres clubs utilisent des barrettes à coudre à l’extrémité de la ceinture ; il faut avoir un certain nombre de barrettes (généralement trois) pour passer à la ceinture suivante. Cette pratique autrefois courante est devenue rare.↩
On peut comparer ça à l’école : les kyū sont les bulletins de fin d’année primaire, le 1er dan est le certificat d’études de base obtenu à la fin du primaire, le 2e dan est le diplôme du secondaire inférieur, le 3e dan est celui du secondaire supérieur (toutes les bases sont acquises et seront désormais affinées), le 4e dan est le bachelier, le 5e dan est le master (on fait désormais partie des hauts gradés), le 6e dan est un doctorat, marqué par un changement de ceinture (rouge et blanc), suivi du 7e et du 8e dan (en principe, on ne porte la ceinture rouge et blanc que pour des occasions spéciales, sinon on garde la ceinture noire). Le 9e dan est purement honorifique (on ne passe plus d’examen), couronnant une carrière exceptionnelle, avec un nouveau changement de couleur (ceinture rouge). Le 10e dan, très rare, est appelé « trésor vivant ». Le 11e dan, jamais obtenu (et impossible à obtenir !), symbolise l’idéal à atteindre, avec un retour à la ceinture blanche, comme un éternel débutant qui commence un nouveau cycle… Maître Kanō, en tant que fondateur, n’avait pas de grade. Une légende raconte qu’on l’aurait considéré comme 12e dan à titre posthume, mais aucune source officielle ne permet d’en attester.↩