Philosophie

(Extrait des Clés pour le judo de Jérémie.)

« Messieurs, croyez vous qu’un homme de mon âge et de ma condition perdrait son précieux temps à enseigner comment simplement jeter quelqu’un par terre ? »
« Le jūdō est l’élévation d’une simple technique (jutsu) à un principe de vivre (). »
« Le jūdō est un principe universel, dont l’application au combat n’est qu’une des innombrables possibilités. »
« Le but ultime du jūdō est la parfaite réalisation de soi-même et, dans la vie quotidienne, de contribuer à l’harmonie de la société. »

J. Kanō

« Le jūdō, plus qu’un sport ! ». Jigorō Kanō a conçu le jūdō comme une philosophie complète, c’est-à-dire une méthode d’éducation physique, intellectuelle et morale, visant l’épanouissement de l’individu au service des autres et de la société, transmettant des valeurs fondamentales selon deux grands principes (柔道の最高の目的 jūdō no saikō no mokuteki,  « le plus haut but du jūdō ») applicables dans la vie de tous les jours, dans tout ce qu’on fait : jita kyōei et seiryoku zen’yō 1.

自他共栄 Jita kyōei : « entraide et prospérité mutuelle » 2

Aidez-vous les uns les autres ! Le principe est l’entente harmonieuse, la prospérité mutuelle par l’union de sa propre force et de celle des autres. La présence de partenaires et celle du groupe sont nécessaires et bénéfiques à la progression de chacun. Au jūdō comme dans la vie, les progrès individuels passent par l’entraide et les concessions mutuelles, et chacun doit progresser pour être utile au groupe et à la société.

精力善用 Seiryoku zen’yō : « bonne utilisation de l’énergie » 3

Le jūdōka est à la recherche du meilleur emploi de l’énergie physique et mentale. Ce principe étend le principe  (jū no ri 柔の理) et invite à appliquer, à tout problème, la solution la plus pertinente : mesurer ses actions, agir juste, au bon moment, de façon calme et posée, avec un parfait contrôle de l’énergie déployée, utiliser la force et les intentions du partenaire.

Maître Shōzō Awazu (正蔵 粟津) a particulièrement insisté sur la formule suivante :

心技体一致 Shingitai icchi : « cœur, technique, corps unifiés »

En général, on dit plus simplement shingitai 4. Les kanji 心技体 peuvent aussi se lire kokoro-waza-karadaShingitai est lié au concept philosophique 天地人 tenchijin, « ciel, terre, homme ». Pour faire simple, on pourrait dire que shingitai icchi correspond à peu près à « un esprit sain dans un corps sain ». « Le corps est utilisé de façon optimale dans une technique parfaite avec un engagement mental complet. » 5

心 Shin/kokoro (lié à 天 ten, ciel) : cœur, âme, esprit. C’est l’engagement, la volonté, la concentration, la sérénité, la persévérance, la détermination, le caractère, l’état d’esprit, la moralité, le développement mental. C’est l’esprit qui commande le corps. Sans shin, tu ne voudras pas agir.

技 Gi/waza (lié à 地 chi, terre) : technique, habileté, aptitude, savoir-faire. C’est connaître son corps et savoir l’utiliser. C’est aussi les tactiques et les stratégies. Sans gi, tu ne sauras pas comment agir.

体 Tai/karada (lié à 人 jin, être humain) : corps, posture, physique. C’est prendre soin de son corps, le maintenir en bonne santé, le rendre endurant, résistant, bien structuré, donc utile et efficace, en cherchant le shiseiSans tai, tu ne pourras pas agir.

Comparons avec un être vivant : shin est le cœur, l’âme, le souffle vital, gi est le cerveau, tai est le corps. Quand l’un est défaillant ou malade, les deux autres risquent de souffrir aussi. Si l’un meurt ou disparaît, les deux autres s’éteignent aussitôt.

Shingi et tai peuvent se trouver dans des proportions différentes au cours de la vie. L’important est de les cultiver tous les trois et de maintenir un certain équilibre, d’où 一致 icchi, « union, accord, cohésion, coopération, ne faire qu’un », dans la formule complète. Par exemple, si tai faiblit avec l’âge, shin et gi devront être renforcés. C’est tout à fait l’image des vieux sages chétifs et pourtant redoutables qu’on trouve au cinéma, comme Yoda, Tortue Géniale ou monsieur Miyagi. Ce n’est pas qu’une légende : les anciens maîtres devenaient de plus en plus efficaces en vieillissant, c’était indispensable pour survivre à l’époque des conflits incessants. Selon l’idéal des arts martiaux, une technique forte l’emporte sur un corps fort, et un esprit fort l’emporte sur une technique forte. Les meilleurs arrivent à annuler toute envie de confrontation. Mais attention ! « Trop de shin et vous n’êtes plus qu’un prédicateur, trop de gi et vous n’êtes plus qu’un technicien et trop de tai et vous n’êtes plus qu’un sportif. C’est la conjugaison des trois qui vous permettra de progresser vers d’autres sommets et qui vous dévoilera l’expertise martiale. » 6 Encore une fois, tout cela ne s’applique pas seulement au combat, mais à toutes les situations de la vie. 7

On dit parfois que le gokyō représente le tai, le koshiki no kata le gi et l’itsutsu no kata le shin du jūdō.

武道は礼に始まり、礼に終わる Budō wa rei ni hajimari, rei ni owaru : les budō commencent avec la marque du respect et se terminent avec la marque du respect.

柔よく剛を制す Jū yoku gō o seisu « le souple peut l’emporter sur le dur »

Cet adage rappelle jū no ri 柔の理, « le principe de l’adaptation » ou « de la douceur », ou « de la souplesse » – tous les sens de jū !   (剛), c’est « la dureté, la force » pure. Jū yoku gō o seisu pourrait s’interpréter comme : « passer en douceur vaut mieux que passer en force ».

« L’oiseau vole dans le ciel, mais aucune trace n’en témoigne. Le poisson nage dans l’eau, mais son trajet est imperceptible. Il en va de même en jūdō où, que l’on projette ou étrangle, cela ne laisse pas la moindre empreinte. C’est, sans intention et sans ego, dans cette absence de trace laissée, que se trouve la quintessence du jūdō. » Kyūzō Mifune 8

Seiryoku zen’yōjita kyōeishingitai icchi et jū no ri sont des principes sur lesquels tout jūdōka devrait méditer régulièrement.

Un autre proverbe fameux hérité des samurai : 七転八起 Nana korobi ya oki : « tomber sept fois et se relever huit ».

Le Code moral

Ce code de conduite affiché dans les dōjō du monde entier, fondé sur jita kyōei et les valeurs sportives universelles, a été rédigé par les jūdōka français Bernard Midan et Paul Parent en 1985. Il est un peu simpliste, mais plus facile à comprendre que jita kyōei, notion beaucoup plus riche, pour commencer.

  • Amitié                         « C’est le plus pur et le plus fort des sentiments humains. »    
  • Courage                      « C’est faire ce qui est juste. »
  • Sincérité                      « C’est s’exprimer sans déguiser sa pensée. »
  • Honneur                     « C’est être fidèle à la parole donnée. »
  • Modestie                     « C’est parler de soi-même sans orgueil. »
  • Respect                       « Sans respect, aucune confiance ne peut naître. »
  • Contrôle de soi           « C’est savoir se taire lorsque monte la colère. »
  • Politesse                      « C’est le respect d’autrui. »

  1. J’emprunte l’explication de ces principes à : <https://shinryu.fr/881-judo-no-saiko-no-mokuteki.html>.

  2. Ou 自他融和共栄 Jita yūwa kyōei : « prospérité mutuelle et harmonie pour soi et les autres ».

  3. Ou 精力最善活用 Seiryoku saizen katsuyō : « meilleure exploitation de l’énergie ».

  4. On écrit aussi shin-gi-tai.

  5. https://www.lionelfroidure.com/shin-gi-tai-les-3-piliers-du-parfait-budoka

  6. https://www.lionelfroidure.com/shin-gi-tai-les-3-piliers-du-parfait-budoka

  7. J’ai repris certaines formulations de : <http://www.judopourtous.com/PagesAnnexees/ShinGhiTai.htm>.

  8. Traduit par Yves Cadot : <https://corpsjapon.hypotheses.org/170>

(2 commentaires)

  1. Enfin des explications sourcées sur les principes du judo. J’apprécie ton travail… Merci l’ami 😁🙏🙇

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