
Le tandoku renshū 単独練習, entraînement seul, par opposition au sōtai-renshū 相対練, est une habitude des judokas et est pratiqué dans nombre de sports de combats, notamment de percussion (le « shadow boxing », boxer contre son ombre, les katas du karaté, les enchaînements des wushu), mais à l’aikido, à part aux armes, il est absent, ce qui m’a toujours étonné alors que ça me paraît tout naturel.
Il faut dire j’ai eu la chance de suivre des professeurs (Didier Terwinghe à Pepinster, Joël Callu à Neupré) qui y consacraient systématiquement une partie de leurs cours, que le travail de Hiroshi Katanishi m’intéresse beaucoup, et que ma phobie sociale a un goût tout spécial pour ce genre d’exercice où je ne dois m’occuper que de moi-même. C’est comme ça que j’ai débloqué beaucoup de techniques de judo (j’ai passé des mois sur tai-otoshi, passée de technique infaisable à fleuron de mon panel) ; c’est aussi comme ça que j’ai appris le kime no kata chez moi pendant des vacances d’hiver solitaires, que j’ai préparé l’essentiel de mes examens d’aikido et que je trouve beaucoup d’idées. C’est enfin ce qui m’a permis de continuer à donner cours de judo aux enfants dès la première semaine du Grand Confinement, contre l’avis général qui prétendait qu’on ne pouvait pas faire de judo dans ces conditions. C’était encore pire dans le monde de l’aikido, où quelques cours d’armes en ligne ont fini par se faire, toujours avec beaucoup de réticences, et je me demande s’il y a eu des tentatives de cours de taijutsu (mains nues) quelque part dans le monde. Je répétais pourtant à Arnaud que c’était possible.
Le travail seul au Kishinkai
Sans lui donner de nom particulier que « travail seul », Léo l’a récemment introduit en taijutsu dans ses cours et en a fait une exigence pour les examens d’enseignants du Kishinkai. Ma grande surprise a été de voir que la plupart des pratiquants découvraient totalement cette forme de travail, y compris les plus avancés, nourrissant des discussions intriguées lors de la dernière FIE, début juin : « Et toi, tu en penses quoi du travail seul ? Tu t’en sors ? » Quand j’ai répondu à Arnaud que ça me paraissait tout naturel de le faire, en lui racontant l’histoire de Katsuhiko Kashiwazaki et en lui parlant par exemple de Katanishi et des vidéos de confinement de Tatsuto Shima, Secrets de Judokas ou Judovirus, il a été très intéressé et s’est mis à chercher des vidéos.
L’originalité est que Léo nous fait travailler non seulement le rôle de tori, mais aussi, avec une insistance nette, celui d’uke, pour polir la compréhension de chaque technique et de l’effet attendu. Quoique je montre régulièrement à mes élèves ce qui se passe pour uke et que je travaille formellement les attaques, je n’avais jamais pensé à aller jusqu’au bout de l’ukemi. C’est qu’au judo, c’est difficile de s’envoler tout seul, et je m’arrête au déséquilibre – cependant, je radote, sans jamais en faire un travail de répétition comme pour tori. Il va falloir que je m’y mette.
La technique doit être reconnaissable et ses principes doivent apparaître avec évidence. Léo peut demander à quelqu’un de choisir secrètement et de démontrer une technique, comme tori, comme uke ou les deux, et le reste du groupe doit essayer de l’identifier.

Avantages
J’ai entendu un jour un professeur dire : « Il faut avoir le contrôle de son propre corps avant d’essayer de contrôler le partenaire. »
Le tandoku renshū est un fantabuleux outil pour ça. Il permet d’affiner ses gestes, son équilibre, ses sensations internes, de les conscientiser, sans les contraintes et limites imposées par la présence d’un partenaire (réactions, blocages). Par le travail d’imagination qu’il demande (« Vous devez entendre tomber uke », répétait maître Callu), il aide le cerveau à recréer la sensation du partenaire. Une image mentale de la technique se forme, on devient capable de la ressentir en toutes situations. Lorsqu’on travaille ensuite avec un partenaire moins avancé ou en difficulté ou lorsqu’on observe un élève, la conscience fine qu’on a acquise permet de le guider si nécessaire. Comme uke, il m’arrive souvent, par exemple, alors que j’ai la tête écrasée au sol et que je ne vois pas ce qui se passe, d’aider mon partenaire qui s’emmêle à trouver ce qu’il doit faire – quand c’est une finale comme celle de nikyo, c’est toujours rigolo !
Pas que l’uchikomi du kata
Le tandoku renshū ne s’applique pas qu’à la répétition de forme technique. Tous les autres types d’exercices, à l’exception peut-être du nagekomi, s’y prêtent. L’intensité peut varier. on peut faire du kakari geiko, du yakusoku geiko et du randori. Je terminais souvent les séances de Judovirus par un randori où il fallait imaginer que le partenaire passe aussi des techniques, ce qui amène à se demander à tout moment si on a laissé une ouverture ou si on risque d’être contré, mais aussi tout simplement à rester disponible et à accepter la technique du partenaire.
Enfin, ça ouvre les portes de l’entraînement permanent.