On croit souvent que l’entraînement ne peut se faire qu’au dojo. On dit souvent que le dojo ne désigne pas forcément un endroit particulier. Et donc, le dojo est partout où on le trouve et il est possible de s’entraîner partout, tout le temps. Les histoires de maîtres de karaté qui travaillaient encore leur tsuki sur leur lit de mort ne manquent pas.
Évidemment, la forme d’entraînement peut varier : si on est dans une cour, on évitera judicieusement de travailler les projections, on préférera par exemple le travail de kuzushi-tsukuri, les armes ou du conditionnement physique. Si on est seul, on peut pratiquer le tandoku renshu. Dans le pire des cas, on peut s’entraîner par les yeux et les oreilles en lisant, en regardant des vidéos ou en écoutant un podcast.
Il s’agit encore là de temps définis. Lorsque c’est terminé, on passe à autre chose. L’entraînement se limite à l’instant. Vous me sentez venir, avec votre grand nez : depuis longtemps et de plus en plus, je fais plus que ça.
De l’entraînement quotidien à l’entraînement permanent
Pratiquement en permanence, je m’entraîne d’une manière ou d’une autre. J’observe ma posture, mes gestes, mon équilibre. J’explore ma façon de m’asseoir, de me lever, de marcher, de courir, de monter et descendre les escaliers, de tenir mes couverts, j’en essaie diverses pour explorer leurs effets. J’observe les gens autour de moi, leur façon de bouger et d’interagir. Je travaille un geste du bras en attendant le train. Je surveille mon environnement, où je me place, par où je passe. Je fais de la visualisation. C’est tantôt extrêmement conscient, tantôt presque inconscient : je me surprends parfois quand je me rends compte de ce que je suis en train de faire.

La dernière saison a été particulièrement marquante. De septembre à mai, je me suis très peu entraîné. Pas de judo, beaucoup d’absences au cours d’aikido, peu de stages, presque pas de tandoku renshu chez moi, aucun conditionnement physique. J’ai donné cours sans faire grand-chose de plus que l’échauffement. Quand j’allais à l’aikido, ça m’arrangeait qu’on soit un nombre impair pour pouvoir papillonner ou discuter avec Arnaud. Et pourtant je constate de gros progrès. C’est que je dois m’être beaucoup entraîné.
Bien sûr, donner cours m’a apporté beaucoup, la création d’un cours dédié à l’aikido en particulier. En enseignant, je dois être très attentif à ce que je montre, à ce que je comprends, à ce que je dois faire passer, aux moyens d’aider mes élèves à parvenir à la même chose. Je suis obligé de progresser pour les faire progresser.
Mais surtout, même si je n’ai pas fait beaucoup de travail de formes techniques pour moi-même, j’ai toujours gardé quelques principes en tête : les thèmes qui me hantent sont les déplacements, la recherche d’une posture basse, la mobilité des hanches, le relâchement, la légèreté, la qualité du contact, la dissociation. Dans tout ce que je fais, tout le temps, partout, je cherche à les appliquer. Je remarque des changements dans ma façon de me tenir en général. Quand je vais à l’aikido, j’ai l’impression d’être plus précis, plus sensible, plus imprévisible, moins perceptible ; plusieurs fois, des partenaires m’ont surpris en me disant qu’ils ne comprenaient pas ce qui s’était passé, qu’ils n’avaient rien senti, qu’ils étaient tombés dans le vide ou que j’avais disparu.
L’entraînement n’est plus un moment : il devient un état permanent.
[…] Enfin, ça ouvre les portes de l’entraînement permanent. […]