Utilisation du corps : une évolution

Du judo Kodokan à l’aikido Kishinkai

Pudique et timide avec moi-même, j’ai longtemps fui tout ce qui ressemblait à des méthodes corporelles, à l’approche des sensations, aux arts internes, à prendre soin de la machine ; je fuis toujours l’expression corporelle. Je me contentais du travail des formes et de la mécanique extérieure. Je m’intéressais aussi très peu aux autres arts martiaux que le judo. J’avais la vision étroite propre à la plupart des judokas. Cependant, tout cassé que j’étais à 20 ans, je me disais souvent que si je devais arrêter le judo, ce serait pour faire de l’aikido, attiré par l’esthétique, les films de Seagal et les quelques vidéos de Christian Tissier que YouTube me montrait.

Alors que je m’ennuyais un peu dans le judo et beaucoup dans la préparation de mes examens de janvier, fin 2013, sur un coup de tête, pour me changer les idées, je suis allé essayer un cours au club voisin, le Sakura Dojo d’Aywaille : un dojo Iwama ryu, dirigé par Carlo Van Parys, à l’époque le dojo central de Daniel Toutain. A posteriori, autant dire que j’étais bien tombé. Et tout de suite, Carlo m’a fait découvrir un nouveau monde : des sensations dont on me parlait au judo sans pouvoir me les démontrer, une méthode pour les développer, une conscience fine du geste, des gens qui ont connu le Japon de près. Quoi qu’on puisse dire des pratiquants d’Iwama, je peux affirmer que Carlo et Daniel sont les premiers à m’avoir fait sentir le relâchement et donné la sensation de vide. Leur bras disparaissait de mes mains quand je le tenais et ils baladaient le gaillard judoka tout en nerfs que j’étais comme rien.

Très vite, en farfouillant, je suis tombé sur le blog de Léo Tamaki. Ce qui m’a retenu, c’est son discours rationnel, à la fois sans concessions et nuancé. J’ai pratiquement tout lu. Carlo comme Léo étaient loin de dénigrer le judo comme les autres « pratiquants d’arts martiaux traditionnels » qui disaient que ça n’avait plus rien d’un art martial. Surtout, Léo présentait des interviews de maîtres japonais, des témoignages, la culture du Japon où il avait vécu, et ce qui nous intéresse dans cet article : une profonde réflexion sur la modification de l’utilisation du corps.

Alors qu’au dojo, je découvrais le travail de connexion, sur le blog de Léo, je découvrais Akira HinoYoshinori KonoTetsuzan KurodaMinoru Akuzawa et d’autres. J’ai très vite essayé, chez moi, les exercices que je pouvais trouver du Hino budo et de l’Aunkai d’Akuzawa, tandis que j’étais intrigué par la notion de corps flottant de Kuroda. Deux ou trois mois plus tard, je sortais pour la première fois du monde du judo pour aller au stage de Hino à Bruxelles, où je découvrirais des exercices tantôt de connexion, tantôt de dissociation, tantôt d’ondulation, sans bien tout comprendre à ce moment-là.

Me voilà parti pour quelques années à chercher la connexion combinée à l’ondulation dans mon judo, à explorer les sensations, à faire des exercices d’assouplissement et de mobilité – et à avoir moins mal partout.

Après quelques années au dojo d’Aywaille, je me suis enfin rapproché du Kishinkai fondé et dirigé par Léo, que je suivais toujours de loin, en rencontrant Arnaud Lejeune, représentant de l’école en Belgique (à Liège, coup de bol !), et en participant au Masters Tours au Japon organisé par Léo. Je crois que j’y trouve à peu près tout ce que j’ai toujours cherché dans les arts martiaux. Je m’entraîne d’ailleurs encore très peu au judo et beaucoup à l’aikido. Je me consacre aujourd’hui pleinement à la dissociation et aux autres principes du Kishinkai. Jusqu’à présent, c’est le travail dans lequel je me sens le mieux – quitte à avoir une approche du judo de plus en plus marginale…

Finalement, je n’ai pas abandonné le judo pour l’aikido : je fais les deux en essayant de les associer, et je découvre toutes les disciplines que je peux, en grande partie grâce à Léo, aux masterclasses du Kishinkai, au Masters Tour, à la NAMT, aux 24h du samouraï – jusqu’à organiser moi-même un budo taikai. Comme me l’a dit Issei un jour : « De toute façon, toi, ce qui t’intéresse, ce n’est pas le judo ou l’aikido : tu aimes les arts martiaux. »

Définitions[1]

« Dans les arts martiaux, le corps est utilisé de diverses manières pour optimiser l’efficacité des mouvements, la puissance, la défense et l’équilibre. Trois concepts clés concernant l’utilisation du corps sont la connexion, l’ondulation et la dissociation.

  1. Connexion
    • Définition : la connexion fait référence à l’intégration et à la coordination de différentes parties du corps pour agir comme une unité cohérente. Cela implique souvent l’alignement structurel et l’engagement des muscles pour transférer l’énergie de manière efficace.
    • Utilisation : en étant « connecté », un pratiquant d’arts martiaux peut générer plus de puissance et de stabilité. Par exemple, lors d’un coup de poing, la force ne vient pas seulement du bras, mais est générée à partir du sol, transmise à travers les jambes, les hanches, le torse, et finalement à travers le bras et le poing.
    • Avantages : améliore la puissance des frappes, la stabilité et l’équilibre, et réduit le risque de blessure en distribuant la force à travers le corps.
  2. Ondulation
    • Définition : l’ondulation implique des mouvements fluides et continus qui traversent le corps, semblables à une vague. Cela peut être utilisé pour générer de la puissance ou pour se déplacer de manière efficace.
    • Utilisation : dans les arts martiaux, l’ondulation peut être utilisée pour enchaîner des mouvements ou des techniques de manière fluide. Par exemple, un mouvement de rotation des hanches peut se propager à travers le torse et les épaules pour générer une frappe puissante.
    • Avantages : permet des transitions fluides entre les techniques, améliore la vitesse et la puissance des mouvements, et peut aider à éviter les attaques en permettant un mouvement constant et imprévisible.
  3. Dissociation
    • Définition : la dissociation fait référence à la capacité de bouger différentes parties du corps indépendamment les unes des autres. Cela permet une plus grande liberté de mouvement et peut être utilisé pour tromper ou surprendre un adversaire.
    • Utilisation : par exemple, un pratiquant peut utiliser ses hanches pour feinter un mouvement dans une direction tout en frappant dans une autre direction avec le haut du corps. Cela peut également être utilisé pour esquiver une attaque tout en préparant une contre-attaque.
    • Avantages : améliore la capacité à feinter et à tromper l’adversaire, permet des mouvements plus complexes et imprévisibles, et peut améliorer la défense en permettant des esquives plus efficaces.

Ces trois concepts sont souvent utilisés en combinaison pour créer des techniques d’arts martiaux efficaces et dynamiques. La maîtrise de ces principes peut grandement améliorer les compétences d’un pratiquant en arts martiaux. »

© Photo Lisa-Marie Navez

Une évolution

Lors de la dernière FIE, un module, dispensé par Tanguy Le Vourc’h, était consacré à la découverte de ces utilisations du corps. Le fait que Tanguy ait choisi de les illustrer avec tenchi nage, technique d’aikido assez proche de l’o-soto-otoshi du judo, m’a fait prendre conscience de deux choses qui seraient restées des idées vagues s’il avait choisi une autre technique.

D’abord, que dans mon parcours, je suis passé par ces étapes :

  1. Travail externe, musculaire, nerveux, tendu, inconscient
  2. Connexion
  3. Ondulation
  4. Dissociation
  5. Combinaison des différentes utilisations du corps selon le contexte, en gardant l’accent sur la dissociation

Le dernier point est un moment de compréhension plutôt récent (moins de deux ans), mais crucial, notamment pour concilier le judo de compétition avec la recherche martiale : les différents contextes demandent différentes stratégies, l’une n’exclut pas l’autre.

Ensuite, que dans mon enseignement, je peux conscientiser ces étapes dans l’évolution de mes élèves et dans les critères de progression, particulièrement au judo. Structurer le corps et les formes par la connexion, chercher de l’effet avec l’ondulation, et petit à petit, par gommage, arriver à la dissociation, qui reste au cœur du discours et des éducatifs. Ainsi, plus il progresse, plus le pratiquant doit être capable de bouger différentes parties du corps indépendamment, de moins en moins en bloc, de façon de plus en plus complexe, imperceptible et imprévisible, et plus il peut à la fois, s’il le souhaite, moduler ses stratégies corporelles, notamment dans le judo de compétition où il est intéressant de retrouver la connexion-ondulation. C’est une réflexion toute fraîche qui reste à vérifier et à éprouver, toutefois j’ai l’impression que c’est déjà le cycle naturel et qu’en l’abordant consciemment, il peut être accéléré et optimisé. Il ne s’agit pas tant de maîtriser une utilisation du corps pour en changer ensuite (un risque que me faisait remarquer mon ami Peter) que de laisser faire le cours naturel des choses en lui donnant un petit coup de pouce sans noyer le pratiquant, et de mesurer sa progression, non seulement lors des passages de grades, mais continûment, à l’aune de ces modes de mouvement. Grosso modo, pouvoir lui dire : « maintenant, au lieu de bouger tout en même temps, bouge ces parties l’une après l’autre », puis « bouge seulement cette partie » ou « bouge cette partie comme ci et celle-là comme ça » – tout en mettant toujours en évidence, dans l’enseignement, les exercices et les démonstrations, je le répète, le dernier : la dissociation recherchée.


[1] Par facilité et économie de mon énergie en décrépitude, j’ai demandé au Chat de s’occuper de ce chapitre : « Explique-moi les trois utilisations du corps dans les arts martiaux que sont la connexion, l’ondulation et la dissociation. »

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