De solitaire…

Je n’ai jamais participé à une activité pour des raisons sociales. Je n’ai plus aucun contact de l’école, pas plus de deux des études supérieures (et encore, la dernière fois se compte en années), presque pas de mes années d’animation, je fuis toute forme de fête et de rassemblement, je ne me sens chez moi nulle part, je vis en ermite. J’ai trois amis proches qui ne se connaissent pas entre eux, ou à peine. Chaque activité est bien cloisonnée, les différents mondes ne se rencontrent pas. Les rares fois où ça arrive, je suis paumé : chacun me connaît différemment, je ne sais plus quel personnage choisir. J’essaie avec le temps de me défaire de ma collection de masques, mais il m’en restera toujours quelques-uns, question de survie – et cause d’épuisement parfois.
Même au judo, mon activité la plus durable (depuis 1999), il y a bien sûr les copains que je suis content de retrouver à l’entraînement et à la buvette, mais les amitiés qui s’extraient du dojo sont rares ou éphémères. On ne s’invite pas pour un verre, on ne s’appelle pas pour parler d’autre chose que de judo, finalement on ne se connaît pas vraiment. Je ne m’en plains pas, je ne le cherche pas, ça me va très bien. Parmi les exceptions notables, il y a Madeleine bien sûr, devenue ma meilleure amie, Géraldine qui m’a embarqué dans la création du club, Martin et Théa, deux jeunes précieux. Ça arrive quand ça arrive.
… à solidaire
Et puis il y a le Kishinkai. Comme d’habitude, j’y suis arrivé par curiosité et les premiers stages me rendaient très nerveux : il fallait voyager loin, cohabiter avec des inconnus, vivre en communauté. Pourtant je m’y suis senti accueilli plus vite que nulle part ailleurs. J’y ai rencontré des gens aussi frappadingues que moi, qui passent toutes leurs vacances et leurs viquènes en stage, qui ont une pratique réfléchie et critique, qui ont le même imaginaire, qui s’amusent à jouer aux ninjas, intéressants, intelligents, cultivés, curieux : « le groupe qui approfondit dans la joie », avec rigueur, légèreté et bienveillance.
Je m’y suis fait plus d’amis plus vite que nulle part ailleurs. Je suis content d’aller en stage pour les retrouver. On se tape dessus, on se tord les bras, le budget resto explose, on partage des logements, on fait les clowns. J’ai fait deux voyages avec d’autres amis dans ma vie, et là c’est une semaine à Budapest par-ci, trois semaines au Japon par-là. On se suit sur les réseaux, on a des groupes WhatsApp de folie. J’en ai hébergé de passage à Liège, comme je sais que je peux demander un lit un peu partout en France. Je suis content quand c’est fini, ça me pompe beaucoup d’énergie, mais ça m’en donne aussi et je suis content d’y être.

La veille du départ pour le Kishintaikai de Libourne, je disais à ma psy que je savais que j’allais bien m’amuser, mais que je n’avais pas plus envie que ça d’y aller. Quand elle m’a demandé si je faisais parfois de nouvelles rencontres dans ces stages, je lui ai répondu que non, c’est rare, en gros c’est toujours les mêmes. Et puis paf, j’arrive et voilà que je suis dans une joyeuse colocation, que je deviens le confident de deux jeunes cœurs et que ça accroche avec trois nouvelles personnes, dont sans doute une des plus chouettes rencontres que j’ai pu faire. Quelqu’un qui m’inspire immédiatement confiance et avec qui je peux papoter toute une soirée, ça n’arrive pas tous les jours. Qui sait, le compte des amis proches pourrait monter à quatre.
Quelqu’un m’a dit que mes difficultés sociales ne se voyaient pas. C’est que j’ai peut-être bien trouvé mon univers.