« Quelles sont tes motivations ? »

C’est ce qu’a demandé Tanguy l’autre jour, en prenant un verre le dernier soir du Kishintaikai, à quelqu’un qui s’interrogeait sur le sens et la pertinence de l’aikido Kishinkai. Une question sacrément difficile qui m’aurait laissé beaucoup plus interdit que l’intéressé. À vrai dire, je me la pose souvent. Avoir assisté à cette discussion m’amène à essayer d’y répondre.

Pourquoi je passe mes soirées, mes viquènes, mes vacances dans un dojo ? Pourquoi je ne voyage que pour aller en stage ?

Je peux déjà dire que je ne pratique pas spécialement les arts martiaux pour apprendre à me battre ou à me défendre, bien que j’aime y jouer, que je m’imagine souvent dans des situations d’agression et que je ne voudrais pas autre chose. C’est plutôt un bonus bienvenu qu’ils m’offrent.

Nourrir mon imaginaire

Quand j’étais petit, non seulement je n’étais pas grand, mais j’étais fasciné par Dragon Ball (na na na nana yahaaaa !), Bruce Lee, JCVD, les Tortues Ninjas et tout ce qui montrait des arts martiaux, sans me douter que ça existait pour de vrai près de chez moi. C’est quand mes parents ont amené mon petit frère essayer un cours de judo que j’ai découvert la fantabuleuse réalité. Je jouais déjà au foot ; la deuxième semaine, j’étais sur le tatami. À ce moment-là, ç’aurait été du karaté, du kung fu ou n’importe quoi d’autre, c’est ça que j’aurais fait. Merci Son Goku.

Me mettre en difficulté

J’ai toujours eu des facilités d’apprentissage dans tout ce que je faisais. Les arts martiaux sont la première chose à m’avoir offert de la résistance : aller au contact des autres, mettre des années à comprendre une technique, une vie à maîtriser un principe, être observé au centre du tatami pendant un combat ou une démonstration, perdre, supporter les blessures. Je répète à mes élèves que c’est la difficulté qui nous fait progresser, et je me suis rendu compte il n’y a pas si longtemps que beaucoup de mes choix étaient sans doute inconsciemment venus de là : faire un métier social comme animateur pendant 10 ans, coordonner des équipes, entrer dans des CA, commencer à donner cours de judo il y a une quinzaine d’années, redevenir débutant en me mettant à l’aikido, m’inscrire pour trois semaines de voyage au Japon sur un coup de tête, ouvrir un club, vivre seul, répandre le contenu de mon crâne sur un blog.

Cadrer les relations

D’un naturel distant, pas très à l’aise au contact des autres, maladroit, je trouve au dojo un cadre contrôlé et rassurant. Les codes sont connus. On se salue à distance. On sait pourquoi et comment on s’approche, pourquoi et comment on se touche. Il n’y a pas besoin de parler, ou bien deux mots suffisent pour donner une indication à son partenaire. Je dis aussi parfois que je fais des disciplines de contact qui m’apprennent à garder les autres à distance ou à contrôler leurs actions envers moi.

Me sentir chez moi

À part dans ma chambre, je ne me sens jamais chez moi, à l’aise nulle part, sauf au dojo : je suis dans mon élément, je connais les codes, le cadre est contrôlé, je suis là parce que je l’ai choisi, l’atmosphère m’apaise, je suis à l’abri.

© Photo Daniel Molinier
Canaliser

J’ai la cervelle trop industrieuse, le fond triste, l’âme mélancolique, la dépression prompte, la colère rentrée pour ne pas être dévastatrice. Je comprends parfaitement Jigoro Kano quand il raconte[1] :

« […] le jūjutsu d’autrefois se limitait à des techniques d’attaque et de défense, et c’était dans la seule intention de ne pas perdre face aux autres que je l’avais étudié ; mais le résultat fut que, moi, si faible, je devins plus fort que des personnes naturellement robustes, et alors que j’étais quelqu’un de nerveux et facilement violent, cela m’apprit à contrôler mes émotions, à ne plus céder si vite à la violence, à réfléchir aux choses calmement, et à ne plus régler mon comportement en fonction de mes sentiments mais en fonction de la raison. »

Je suis encore loin de la bonne utilisation de l’énergie, mais au moins les arts martiaux m’aident à évacuer le trop-plein et à me détendre.

Avoir des sensations

J’ai déjà parlé de mon évolution quant à l’utilisation du corps. En outre, les arts martiaux réveillent mes hyposensibilités, tantôt par les sensations fortes (le choc des chutes[2], les coups, le cardio poussé à bout), tantôt en développant des sensations fines. J’apprends aussi à comprendre et utiliser mes hypersensibilités. Et puis tout simplement, la façon dont j’apprends à bouger est agréable.

Carpe diem…

… est d’une difficulté sans nom pour mon cœur aussi nostalgique qu’anxieux. Ça ne marche pas toujours quand je vais un peu trop mal, mais l’entraînement est un des rares moments où il m’arrive d’être dans l’instant, à la fois parce que toute distraction est fatale et parce que je m’amuse. C’est aussi parce que je me concentre sur les techniques, les exercices, les gestes, les sensations, toute la conscience est mobilisée sur ce qui se passe ici, maintenant.

M’occuper des enfants

Parce que Peter Pan est inspiré de moi, qu’ils m’apprennent la vie et que c’est avec eux que je me sens le mieux.


[1] Traduit par Yves CadotKanō Jigorō et l’élaboration du jūdō – Le choix de la faiblesse et ses conséquences, thèse de doctorat, INALCO, 2006, p. 30.

[2] J’ai toujours apprécié les chutes : je sens le sol, ça picote, ça réveille, le contact du tatami n’est pas désagréable.

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